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  Groupe de Recherche Européen Pour l'Archéologie au Levant                          ENGLISH

 

 
 

L'affaire de la statue de Sésostris III, seconde partie


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La théorie douteuse de la « statue posthume » 

 

Pour Mmes Desroches-Noblecourt et Delange, cette statue présente surtout des caractéristiques propres à la XIIIe dynastie. Elles concluent qu’il s’agit tout simplement d’une « statue posthume », bien qu’il n’existe aucune dédicace dans ce sens.

 

En fait, cette statue serait la première du genre, réalisée entre les règnes de Aménemhat IV et Aménemhat V. Pour soutenir cette théorie, elles s’appuient sur une thèse que leur a inspirée Edna Russmann, conservateur au Brooklyn Museum, qui, en 1997, lors d’une conférence au Louvre sur les effigies royales, affirmait que certaines pouvaient avoir été fabriquées après le vivant des rois.

 

La « divinisation » de pharaons par leurs successeurs, y compris Sésostris III, n’est pas contestable. Thoutmosis III se fait par exemple représenter sur les murs de ses temples en Nubie avec Sésostris III qu’il veut honorer, comme le relève d’ailleurs les experts du Louvre, cependant aucune statue en pierre n’a été réalisée pour l’occasion (et on ne note aucune dédicace dans ce sens sur la statue controversée). Pour soutenir leur thèse, les experts du Louvre avancent un cas de statue commémorative, celle d’Aménophis I conservée à Turin. Elles rattachent cette statue aux cultes des ouvriers de Deir el-Médina qui ont effectivement divinisé ce roi, mais il s’agit d’une œuvre du Nouvel-Empire. Il existe bien par contre, conservé à Berlin, le socle d’une statue réalisé pour le roi Djéser par le roi Sésostris II (H. Gauthier, Ldr I, 1907, p. 51). Une dédicace en témoigne. Nous ne savons pas si celle-ci imitait le style de la IIIe dynastie ou plus sûrement, comme il est probable, celui de la XIIe dynastie. Cet oubli témoigne de l’indigence du rapport des experts, dans lequel la seule référence sérieuse pouvant soutenir leur thèse de la « statue posthume » n’a même pas été présentée.

 

Les analyses de tracéologie en laboratoire

 

La statue a subi, en juillet 2002, au laboratoire de Pessac à Bordeaux différents tests en laboratoire sous microscope à balayage électronique (Fig. 14). L’expertise du professeur Dietrich Klemm (Docteur en minéralogie, Munich) est basée sur l’examen des traces de manufacture du Sésostris III, comparées à celle d’une statue du roi Amenemhat III de taille comparable conservée au Musée de Munich.

Fig. 14 : Analyse sous microscope de la statue.

L’étude comparative conclut à des procédés  de  taille  et  de  polissage

radicalement différents impliquant pour le façonnage de la statue de Sésostris III l’utilisation d’outils modernes.

 

L’expertise de Monsieur Bertrand Dubosq du Laboratoire ASA Maurer confirme que cet objet a été façonné par des outils modernes. Des vestiges d’outils en fer chromé (socle, haut du trône, collier gravé, incision de la ceinture) et des traces franches indiquant l’utilisation d’une lame diamantée de type molette (cannelures incisées du pagne, pans du némès) ont été repérés. Les particules métalliques identifiées sous forme de copeaux correspondent à des aciers caractérisés par des additions importantes de chrome (de 5 à 12 %) relatives à des outils apparaissant au début du XXe siècle de notre ère. La conclusion est sans appel : il s’agit bien d’une sculpture moderne.

 

Madame Desroches-Noblecourt et la théorie des outils en fer à l’époque des pyramides

 

Comme on le voit souvent dans les histoires de faux, l’expert, malgré de nouvelles analyses scientifiques réfutant sa thèse, persiste dans son erreur. Mme Desroches-Noblecourt propose actuellement différentes théories pour expliquer cette présence de particules en fer piégées dans la pierre.  Elle va même jusqu’à imaginer que la célèbre statue en gneiss du roi Khéphren (CG 14) du Musée du Caire a pu être taillée à l’aide d’outils en fer, voire même en acier ! Or, la chronologie de l’apparition du fer dans l’outillage du sculpteur égyptien est plus récente d’environ 2000 ans. 

 

Les artisans du Moyen-Empire et leur outillage

 

Comme pour les autres révolutions métallurgiques précédentes, l’Egypte est le dernier pays du Moyen-Orient à acquérir la technologie du fer. L’introduction du métal de cuivre dans l’outillage (Ma’adi) s’effectue via la Palestine durant la première moitié du IVe millénaire. Le bronze est introduit au tout début du IIe millénaire sous la XIIe dynastie. Cependant, son utilisation régulière dans l’outillage ne commence pas avant la XVIIIe dynastie. Les creusets pour fondre le métal afin de réaliser des outils découverts au village de Kahoun (Moyen-Empire) contenaient du cuivre.

 

En conclusion, ni les populations de l’Ancien-Empire ni celles du Moyen-Empire n’utilisent le fer dans l’outillage ou l’armement. Il en est de même pour les populations Hyksos qui leur succèdent. Ces guerriers du Bronze Moyen II (vers 2000-1800 avant J.-C.) solidement implantés dans le delta oriental disposent d’objets en bronze, comme le montre la fouille de leurs nécropoles et habitats à Avaris. Au Nouvel-Empire, quelques armes en fer sont importées de la sphère hittite.

 

Les artisans Philistins du début de l’âge du fer palestinien (vers 1200-1000 avant J.-C.), semblent disposer de cette technologie qu’ils auraient apprise des Hittites. Mais aucun indice archéologique n’atteste que les Egyptiens pratiquaient la métallurgie du fer avant l’an 1000 avant J.-C. De Narmer à Taharqa, les Égyptiens travaillaient la pierre avec des marteaux en bois et des outils en pierre ou en cuivre. Les plus anciens outils en fer ont été découverts à Thèbes dans l’atelier d’un armurier, associés à un casque en bronze assyrien du VIIe siècle. De fait, les outils en fer ne sont utilisés de manière courante dans l’outillage qu’à partir de la Basse-Époque où ils sont introduits par les Grecs (ateliers de Daphné et de Naucratis, XXVIe dynastie, vers 650 avant J.-C.). Dès lors, la thèse de Madame Desroches-Noblecourt d’une utilisation d’outils en fer par les sculpteurs du Moyen-Empire (voire ceux des pyramides), lesquels viennent à peine de découvrir la technologie du bronze et utilisent surtout encore le cuivre, est une aberration scientifique.

 

Une autre hypothèse tentant à disqualifier la micro-analyse : La statue présenterait des vestiges de fer car elle a été remaniée

 

Dans le dernier chapitre d’une note datant du début 2003, (« Notes concernant la fabrication de la statue de Sésostris le Troisième, collection Fr. Pinault »), Mme Desroches-Noblecourt évoque d’autres hypothèses pour expliquer l’existence de fer et d’acier dans la statue de Sésostris III : « Revêtue d’une couche de plâtre fin, la statue devait être polychromée, ou dorée à la feuille. Or depuis l’instant de sa « mise en service », quelles injures du temps ont pu agresser la statue de SESOSTRIS LE TROISIEME, quelles traces ont été relevées - ou marquées - par ceux qui l’ont eue en mains pour faire disparaître son revêtement, de quels désagréments la surface de la pierre a-t-elle pu souffrir ? De surcroît, pour détecter et analyser les traces éventuelles laissées par des instruments anciens, et pour les identifier sans erreur, encore faudrait-il connaître leur composition exacte et ne pas risquer d’opérer des confusions provoquées par les vestiges d’outils modernes correspondant à des remaniements. On peut donc considérer, d’après ces quelques renseignements, que de très nombreux facteurs sont à envisager avant d’apporter une conclusion catégorique en se fondant sur une simple analyse de surface ».

 

Rien ne prouve que toutes les statues royales en pierre déposées dans des temples ou dans des tombes étaient peintes ou dorées. Maintenant, supposons que la statue incriminée ait été dorée. Cela expliquerait les agressions dont elle aurait pu être victime de la part de voleurs ayant voulu ôter la couche d’or. Ce genre de pratique n’a pas dû être rare dans l’antiquité égyptienne pendant les périodes troublées. Il est alors vraisemblable que les voleurs auraient utilisé des outils de leur époque, en cuivre ou en bronze, pas en fer. Admettons que, par miracle, la statue échappe aux voleurs égyptiens et tombe dans les mains des envahisseurs assyriens, au VIIe siècle av. J.-C. Ceux-ci ont des outils de fer, un métal encore peu répandu en Égypte. Ils laissent des traces sur la statue  qui, 27 siècles plus tard, ne montre aucun signe de corrosion mais des traces présentant toutes les caractéristiques d’un acier ! Admettons que, par un miracle encore plus grand, la statue ait échappé à tous les pillards et qu’elle soit parvenue jusqu’au XXe siècle (de notre ère), alors tout s’explique, en particulier la présence de traces d’acier avec addition de chrome (une invention du début du XXe siècle de notre ère). Voilà qui est bon. Un fouilleur clandestin découvre une statue royale dorée et en retire l’or, sans doute pour le vendre au poids, avant de vendre la statue. Brillante théorie, qui explique tout ! Une statue unique, car ayant conservé tout son or d’origine, rejoint la cohorte des statues royales l’ayant perdu ! Mais ce qui est plus intéressant c’est que le fouilleur clandestin a aussi enlevé l’or qui était sous le socle avec son outil d’acier car, bien entendu, les Égyptiens de l’Antiquité plaquaient d’or la partie inférieure du socle ! Et puis tant qu’à faire, le fouilleur clandestin en a profité pour graver les hiéroglyphes de la ceinture et le collier incisé ! Il n’est sans doute pas utile d’aller plus loin pour montrer que la tentative de l’auteur de la note pour disqualifier l’étude de microanalyse et de tracéologie réalisée par le Laboratoire Maurer tourne court et au ridicule !

 

Un autre faux démasqué aux USA : la statue du petit-fils de Sésostris III : le roi Aménemhat IV

 

En 1982, le milliardaire américain Theodore Halkédis achète pour 1 million de dollars une statue en pierre au nom de Aménemhat IV, un pharaon peu connu de la fin de la XIIe dynastie (Fig. 15). Comme pour le Sésostris III nous avons pu effectuer fin 2001 une expertise physique sur cette statue.

 

Fig. 15a : Statue d'Aménemhat IV, profil gauche (ex-collection Halkédis).

 

Fig. 15b : Statue d'Aménenhat IV, de face.

Fig. 15c : Statue d'Aménemhat IV, profil droit.

La statuaire pose problème puisque nous ne connaissons pratiquement aucun portrait de ce roi. L’identification repose donc sur le nom gravé sur le pilier dorsal (une ligne de hiéroglyphes avec le nom et les titres du roi. Fig. 16). La statue mesure 48 cm. Le souverain est debout dans le sens de la marche, les mains le long du corps à plat sur le pagne. Le roi ne porte ni collier, ni bracelets. Le pilier dorsal est droit et rectangulaire montant jusqu’au-dessus des aisselles. Ce dernier caractère rend cet objet incompatible avec la statuaire de la XIIe dynastie.

 

De nombreux détails rendent cette statue suspecte. Le roi porte un couteau glissé dans la ceinture, qui a été martelé. Il est dans une position un peu trop centrale et devrait être davantage décalé vers la gauche. Le  nombril  semble  avoir  été

Fig. 16 : Cartouche du faux Amenemhat IV.

 

repris en deux temps par le sculpteur.

Le pouce de la main droite est disproportionné (trop grand par rapport aux autres doigts). Ce détail, de manière surprenante, figure aussi sur le Sésostris III de la collection Pinault. La base du socle n’est pas plane. La ceinture du pagne est nettement plus haute à droite qu’à gauche. La statue présente une asymétrie globale et une incroyable raideur (Fig. 17). Le visage est enveloppé dans le némès qui est sculpté uniformément en relief. Cependant, en position dorsale, il apparaît posé sur les épaules (comme sur le Sésostris III) au lieu de fusionner avec celles-ci. La queue de natte n’est pas droite. L’uraeus est disproportionné (trop grand) par rapport à la tête et ressemble davantage à un orvet qu’à un insigne de dignité conventionnel. L’uraeus et le nez présentent de légères cassures mais qui semblent artificielles. Elles apparaissent très légères, on pourrait dire « décoratives » comme dans le cas du Sésostris III. Le visage présente des yeux en amande mais un regard éteint, sans dignité. La bouche porte des angles très marqués et un menton presque en fossette. Le regard est celui d’un contemporain, le visage rappelant, comme pour le Sésostris III, celui d’un « européen ».

 

Fig. 17 : Statue d'Aménemhat IV, profil droit de biais.

 

Les textes gravés sur le pilier dorsal débordent du bas du socle. La ligne d’encadrement des textes sculptés dans la pierre est irrégulière et présente des incisions « fraîches » (pas de patine au fond des sillons), particulièrement bien marquées sur la fin du texte en bas du pilier. Même remarque pour les hiéroglyphes également de facture récente (incisions fraîches, sans patine). Ces hiéroglyphes sont comparables dans leur maladresse à ceux que l’on peut voir sur les photos d’archive de Sésostris III. On remarque par exemple -pour la fin de l’inscription- que le canard composant l’épithète « fils de Ra » ne ressemble pas du tout à un canard… Le signe de Ra est évidé seulement sur le pourtour extérieur du signe au lieu d’être pleinement évidé.

 

Quant à la pierre, elle présente de grandes taches et veines jaunes de feldspath caractéristique d’un mauvais granit à structure « rapakiwi » qui met cette statue à part dans la statuaire de la XIIe dynastie comme celle du Sésostris III.

 

Le meilleur parallèle pour cette sculpture est sans conteste la statue du Sésostris III de la collection Pinault. Elle est en effet taillée dans la même pierre, présente les mêmes asymétries, les mêmes erreurs de proportions, un pilier dorsal droit de la XIIIe dynastie, une même modernité du visage, des textes défectueux et parfois les mêmes anomalies.

 

On lira avec intérêt la notice scientifique de l’égyptologue américain Peter Lacovara (The Collector’s Eye, Atlanta, Emory University, 2001), cherchant de manière insistante à établir l’authenticité de cette pièce. Pour Monsieur Lacovara, il s’agit d’une « statue extraordinaire, un important jalon dans l’évolution d’un nouveau style ». Il élabore lui aussi une théorie de circonstance celle d’une « statuaire de transition », tout comme nos deux experts du Louvre, à partir d’une réplique moderne. Enfin on remarquera que Mmes Desroches-Noblecourt et Delange, signalent, dans leur rapport, cette statue comme antique. Lors de la succession de la collection Halkédis en 2002, cette statue a été rachetée dans un lot par un collectionneur du Qatar. Un faux peut donc être aisément revendu. Plusieurs égyptologues nous avaient part de leurs doutes sérieux sur cette statue (Olivier Tiano, Marcel Maree, Jack Josephson). Lors d’un entretien à Berlin en 2002, le Professeur D. Wildung, après avoir pensé initialement à l’époque de la vente que cette statue de AMENEMHAT IV était authentique convenait, ayant pris connaissance de nos arguments, que cette statue était un faux.

 

Un  nouveau faux Sésostris III au Caire, la boutique et l’atelier du faussaire identifiés

 

Pour révoquer en faux un document matériel, il faut aussi implicitement reconnaître l’existence d’un faussaire désigné souvent par l’enchaînement même des faits. Or il se trouve que, concernant les statues sus-évoquées, non seulement la boutique qui les écoule a été repérée au Caire, mais également l’artiste qui les a conçues. En 2001, nous avons identifié au Caire une statue de 70 cm de haut représentant un roi en prière dans la position debout les deux mains à plat sur le pagne. Taillée toujours dans le même matériau de mauvaise qualité, un grano-diorite à structure rapakiwi, cette statue était interchangeable avec celle de Aménemhat IV de Théodore Halkédis mais portait la titulature du roi Sésostris III (Fig. 18).

 

Fig. 18a : Un nouveau faux Sésostris III découvert au Caire.

Fig. 18b : Profil du nouveau faux Sésostris III.

Fig. 18c : Vue de dos du nouveau faux Sésostris III.

 

 

Quelques améliorations étaient visibles comme un collier de cou sculpté en relief (et non pas gravé comme sur le Sésostris III) mais on y retrouvait toujours les mêmes défauts, parmi les plus importants, une trop grande modernité du visage, un pilier dorsal de forme droite typique de la XIIIe dynastie et des textes défectueux.

 

Fig. 19a : Le faussaire dans son atelier.

 

Fig. 19b : Les livres, l'inspiration du faussaire.

Fig. 19c : Le faussaire travaillant sa dernière "oeuvre".

Fig. 19d : Détail du travail du faussaire.

 

Fig. 19e : Détail de la dite "oeuvre".

Ces trois statues pourraient avoir été réalisées par le même sculpteur (Fig. 19). Le faussaire a pu être identifié en 2003 à Mit Rahina. Il s’agit d’un homme d’une cinquantaine d’années qui travaille depuis 25 ans, à partir de photographies, à la fabrication de faux à la demande. Sur la présentation des photos de la statue assise de Sésostris III et des statues des pharaons de Aménemhat IV et du Sésostris III représenté debout, il nous avoua humblement être l’auteur des trois forgeries (Laszlo Liskaï, revue Le Minotaure, été 2003). Quand nous lui avons demandé pourquoi avoir mis le nom du roi Sésostris III sur une statue de forme similaire à celle de Aménemhat IV, ce qui pouvait un jour poser problème lors de la confrontation de deux statues identiques mais portant deux noms différents, il nous avoua que l’un de ses commanditaires, encouragé par la vente d’une statue de Sésostris III à Paris en 1998 (celle achetée par François Pinault) lui avait demandé de signer sa dernière création du nom de ce célèbre souverain.

Lors d’une seconde rencontre avec des journalistes de Canal +, le sculpteur se ravisa, avançant que ces statues proviendraient en fait d’un autre atelier de la région qu’il connaissait bien et que lui-même aurait réalisé de bien meilleures pièces.

 

Conclusions

 

La détection d’un faux fait partie des missions du chercheur et doit être partagée par toute la communauté scientifique, à l’exemple des articles de Henry Fischer (e. g. Chronique d’Egypte 62, 1987). Elle intéresse donc directement les égyptologues. L’imposture doit être dénoncée et démontrée et recevoir une diffusion analogue à celle qu’a pu avoir la publication de la pseudo-découverte.

 

Quoi de plus dramatique pour un jeune chercheur ou un conservateur ou un étudiant en thèse d’archéologie que d’utiliser une documentation erronée ?. Bien des chercheurs admettent comme un postulat que toute personne apportant un témoignage d’observation sur des faits archéologiques est un observateur d’une parfaite intégrité de sens et d’esprit et d’une absolue bonne foi. Dans les affaires de faux, l’égyptologue pratiquant le blanchiment intellectuel (par incompétence ou complaisance) est isolé, comme pour le cas de la statue de Aménemhat IV aux USA. Pour la statue de Sésostris III, au contraire, sa pseudo-authenticité a été défendue par nombre d’égyptologues français dont l’actuel titulaire de la Chaire Champollion, Monsieur Nicolas Grimal (A. Malvoisin, JdA 161, décembre 2002). Il est donc temps d’ériger en principe et de faire entrer dans l’enseignement universitaire l’indispensable notion de discrimination qualitative des documents et des témoignages.

 

Bien après les procès perdus par François Pinault, et fortement ébranlé par les derniers travaux réalisés sur la nature réelle de la statue (pas moins de 40 défauts stylistiques, iconographiques et épigraphiques détectés lors de notre contre-expertise), lors d’une conférence publique donnée au Centre Culturel Egyptien le 29 janvier 2003, le professeur J. Yoyotte a finalement admis du bout des lèvres que notre analyse était la bonne. Quelques mois plus tard, alors que son ex-ami de « trente ans », Monsieur Chakib Slitine, vendeur de la statue, était inculpé par la justice égyptienne à propos d’une affaire de complicité de trafic d’antiquités, Monsieur J. Yoyotte confirma à la presse que la statue était bien une forgerie (François Duret-Robert, le Monde, 17 août 2003). Le seul argument  avancé à cette occasion est celle d’un « polissage » différent de celui des statues antiques.

 

Cette affaire donne malheureusement une image assez pitoyable de l’Ecole Française d’Egyptologie à l’étranger, une école déjà en chute libre dans les congrès internationaux où elle est présente de manière marginale dans les débats scientifiques. Son positionnement dans cette affaire, alliée à une stratégie juridique des défendeurs de Monsieur Pinault qui n’eut de cesse de ménager les « experts » de la partie adverse (Mmes Desroches-Noblecourt et Delange) alors qu’il s’agissait en réalité d’un débat purement scientifique et que tous les éléments pour plaider la thèse du faux grossier étaient disponibles ont eu pour conséquence de rendre perdant ce procès pour les victimes.

 

 

La statue de SESOSTRIS III est aujourd’hui sous scellée dans une caisse d’archives au domicile de Madame Pinault (Fig. 20), attendant des jours meilleurs. Une ultime recours juridique (la Cour de Cassation) a été engagé par Monsieur Pinault sur la base qu’il existait à l’origine (avant la vente) une querelle d’égyptologues sur l’authenticité de cette statue, controverse que l’on a soigneusement dissimulée à l’acheteur. Ce point de forme pourrait donner aux juges la possibilité de casser les décisions rendues antérieurement, jugements basés sur l’avis des seuls experts judiciaires (Mmes Noblecourt et Delange) et ne prenant pas en compte d’autres travaux (notre contre-rapport d’expertise avait par exemple été soigneusement écarté en Appel).La Cassation obtenue (résultats en 2007), l’affaire pourra donc être rejugée sur le fond.  L’honneur  de Monsieur Pinault est

Fig. 20 : La statue du faux Sésostris III sous scellées.

cependant sauf puisqu’il a réussi à démontrer, hors tribunal (qui n’est pas le forum idéal pour débattre de questions scientifiques), la non-authenticité de cette statue et la manipulation dont il a été l’objet. Le petit-fils américain de la statue parisienne, la statue au nom du roi AMENEMHAT IV du collectionneur Théodore Halkédis a pour sa part été réduite en poussière en 2004, passée au concasseur à granit, par son nouveau propriétaire, un Cheikh du Qatar. Une idée pour SESOSTRIS III, avec force de publicité médiatique ?

 

Luc Watrin, Janvier 2006.

 
 

 

 

 

Article de presse paru  dans Le Figaro

 

 

Article de presse paru dans  le Journal des arts

 

Couverture du rapport d'expertise (350p)

 

 

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